Par : Alex Lantier
Des articles de presse et des commentaires de hauts responsables des services de renseignement suggèrent que Mohamed Merah, le tireur présumé qui a tué sept personnes, dont trois écoliers juifs, au cours d’une fusillade qui a duré neuf jours à Toulouse, était un atout des services de renseignement français.
Ces révélations soulèvent des questions sur l’échec des services de renseignement français à arrêter Merah, et sur la question de savoir si cet échec a été dicté par des considérations politiques. L’enquête sur Merah a été menée par la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), dirigée par Bernard Squarcini – un proche collaborateur du président sortant Nicolas Sarkozy. M. Sarkozy, qui était auparavant loin derrière le candidat du Parti socialiste (PS) François Hollande aux élections présidentielles du mois prochain, a bénéficié d’une couverture médiatique massive après les attentats et rattrape désormais M. Hollande dans les sondages.
Dans une interview au Monde du 23 mars, Squarcini avait confirmé que Merah avait beaucoup voyagé au Moyen-Orient, même si ses revenus légaux correspondaient à peu près au salaire minimum : « Il a passé du temps avec son frère au Caire après avoir voyagé au Proche-Orient : Turquie, Syrie, Liban, Jordanie, et même Israël. … Puis, il s’est rendu en Afghanistan en passant par le Tadjikistan. Il a emprunté des itinéraires inhabituels et n’est pas apparu sur nos radars, ni sur ceux des services de renseignement étrangers français, américains ou locaux. »
Squarcini visait apparemment à renforcer l’explication officielle de la capacité de Merah à échapper à la police : il s’agissait d’un « loup solitaire auto-radicalisé » indétectable. » Cette histoire est battue en brèche par les révélations selon lesquelles les services de renseignement français étaient apparemment en contact étroit avec Merah, essayant de le développer en tant qu’informateur au sein des réseaux islamistes.
Hier, Les Inrockuptibles ont pris note des rapports italiens selon lesquels Merah travaillait pour la principale agence de renseignement étrangère de la France, la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Il cite le journal Il Foglio :
« Selon les sources du renseignement qui ont parlé à Il Foglio, la Direction générale de la sécurité extérieure lui a obtenu l’entrée en Israël en 2010, en le présentant comme un informateur, en passant par un poste frontière avec la Jordanie. … Son entrée en Israël, couverte par les Français, visait à prouver au réseau djihadiste qu’il pouvait franchir les frontières avec un passeport européen. »
Commentaire : On appelle cela le « sheep-dipping » dans les milieux du renseignement, qui consiste à placer son agent dans des endroits qui pourront être utilisés plus tard pour l’incriminer.
Contactée par Les Inrockuptibles, la DGSE a refusé de confirmer ou d’infirmer l’histoire d’Il Foglio : » La DGSE ne discute pas de ses sources ou de ses opérations, réelles ou imaginaires. »
Dans des propos tenus hier à La Dépêche du Midi, Yves Bonnet – l’ancien chef de la Direction de la surveillance du territoire (DST), aujourd’hui absorbée par la DCRI – a également demandé si Merah était un actif de la DCRI.
Bonnet a déclaré,
» Ce qui est quand même surprenant, c’est qu’il était connu de la DCRI, non seulement parce qu’il était islamiste, mais parce qu’il avait un correspondant à l’agence de renseignement intérieur. Avoir un correspondant, c’est inhabituel. Ce n’est pas exceptionnel. Appelez ça un correspondant, appelez ça un officier traitant… Je ne sais pas jusqu’où allaient ses relations ou sa collaboration avec le service, mais on peut se poser des questions. «
Squarcini a démenti hier que Merah était » un informateur de la DCRI ou de tout service français ou étranger « . Cependant, son interview dans Le Monde suggère que Merah était précisément cela.
De l’aveu même de Squarcini, Merah a visité à plusieurs reprises les bureaux de la DCRI après ses voyages en Afghanistan et au Pakistan – en octobre et novembre 2011 – pour discuter de ce qu’il avait vu. Squarcini a appelé cela » un entretien administratif sans coercition, car nous n’étions pas dans un cadre judiciaire. » Ainsi, Merah donnait librement à la DCRI des informations qu’elle voulait connaître ; c’est-à-dire qu’il a agi comme un informateur, officiellement ou non.
Ces révélations rendent d’autant plus inexplicable l’échec des fonctionnaires à identifier et arrêter Merah. Elles soulèvent également la question de savoir si les responsables des services de renseignement français étaient à l’origine des retards très irréguliers dans l’enquête sur les fusillades.
Bien que les fusillades aient eu lieu les 11, 15 et 19 mars, Merah n’a été soupçonné que le 20 mars, après que la police a comparé une liste restreinte d’islamistes de la région de Toulouse avec une liste d’adresses IP d’ordinateurs ayant consulté une annonce Internet publiée par la victime du 11 mars.
Le journaliste Didier Hassoux a déclaré aux Inrockuptibles que la police avait obtenu cette liste de 576 adresses IP » lorsque le premier meurtre, celui d’un soldat, a été signalé « , c’est-à-dire le 11 mars. Cependant, selon Jean-Marc Manach, spécialiste des technologies de surveillance, les adresses IP n’ont été transmises aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) pour identification que cinq jours plus tard, le 16 mars. Les FAI ont répondu le jour suivant.
Ce délai de cinq jours est très inhabituel, note Manach : » Des sources policières m’ont dit que de telles opérations [pour obtenir les identités individuelles auprès des FAI] ne prennent que quelques minutes. Une autre source, parmi celles qui répondent habituellement à ces demandes judiciaires, a déclaré qu’elles prenaient ‘ 48 heures maximum ‘. »
Dans un nouveau coup porté au récit officiel de Merah comme » loup solitaire « , une vidéo de la tuerie réalisée par le tireur est arrivée à Al Jazeera tard lundi, dans une enveloppe portant le cachet de la poste du mercredi 21 mars. Or, ce jour-là, Mohamed Merah était retranché dans son appartement, assiégé par la police, qui avait également arrêté son frère, Abdelkader. On ignore qui a posté la vidéo, qui a été fortement modifiée pour masquer les voix, ce qui laisse supposer que Merah avait des complices dans les meurtres.
Les responsables français ont réagi férocement à la nouvelle de la vidéo. M. Sarkozy a demandé à toute chaîne de télévision obtenant de telles images de ne pas les diffuser, tandis que M. Hollande a prévenu qu’Al Jazeera pourrait perdre son droit de diffusion en France si elle rendait la vidéo publique.
La position de Hollande sur la vidéo de Toulouse reflète la capitulation des partis bourgeois de « gauche » en France face à l’hystérie de la loi et de l’ordre après ces fusillades tragiques. Personne n’a exigé une enquête sur le rôle des services de renseignement dans ces meurtres, bien qu’ils aient maintenant l’air d’une opération d’État. Le Parti communiste français, le Nouveau parti anticapitaliste ou le PS n’ont pas non plus fait remarquer que l’administration Sarkozy, qui a bénéficié électoralement de ce crime, est légitimement soupçonnée d’être impliquée.
Cela reflète la dégénérescence de l’ensemble de l’establishment politique. Après avoir soutenu les guerres impérialistes dans les pays musulmans et les vagues de coupes sociales en France – alors que les responsables sociaux-démocrates en Grèce ont fait passer des coupes encore plus dévastatrices exigées par l’Union européenne – les partis de « gauche » eux-mêmes s’appuient désormais sur des invocations chauvines de patriotisme anti-musulman. Cela les laisse prostrés devant les services de sécurité et la tentative de l’administration Sarkozy de faire de la fusillade de Toulouse la base de ce qui apparaît comme un coup politique.
Commentaire : Tout comme le FBI organise des complots terroristes aux États-Unis, l’appareil de renseignement français manipule l’opinion publique pour favoriser les partisans de Sarkozy.
SOURCE : sott.net