Sommet de l’OTAN à Vilnius : Un complot de guerre sur le lieu d’un crime historique
Clara Weiss, David North
12 juillet 2023
Sommet de l’OTAN à Vilnius : Mardi, les dirigeants de l’OTAN se réunissaient à Vilnius, en Lituanie, à quelques centaines de kilomètres seulement du champ de bataille de la guerre en Ukraine, qui a déjà fait des centaines de milliers de morts.
Les dénonciations de la brutalité russe ne manqueront pas. Il ne fait aucun doute que le gouvernement lituanien, en particulier, sera remercié pour ses efforts en tant que fer de lance de la guerre de l’OTAN, ou comme l’appellent les laquais obéissants de la presse, de la lutte pour la défense de la «démocratie».
Joe Biden, qui vient d’approuver la livraison de bombes à fragmentation à l’Ukraine, l’une des armes les plus brutales et les plus criminelles de la guerre moderne, décriera l’inhumanité de Vladimir Poutine. Olaf Scholz, dont le gouvernement est engagé dans le plus grand réarmement depuis Hitler et s’apprête à stationner 4.000 soldats allemands en Lituanie, reviendra sur les lieux de certains des pires crimes de l’impérialisme allemand, débitant une propagande de guerre bien préparée.
Ce dont on ne parlera pas, c’est de l’histoire de la ville où ils se réunissent. Vilnius, autrefois surnommée la «Jérusalem de l’Europe», fut le théâtre de certains des massacres les plus importants et les plus barbares de l’histoire de la destruction du judaïsme européen par les nazis. Avec 95 pour cent de sa population juive d’avant-guerre (environ 210.000 personnes) assassinée, la Lituanie a enregistré un taux de mortalité plus élevé que presque tous les autres pays d’Europe. Les nationalistes lituaniens figurent parmi les principaux auteurs de ce crime historique.
À l’instar de ses homologues ukrainiens, la bourgeoisie lituanienne a historiquement combiné une tradition d’anticommunisme amer avec un antisémitisme infâme. Après l’occupation soviétique de la Lituanie en 1940, des nationalistes et des généraux d’extrême droite se sont réfugiés en Allemagne, où ils ont fondé, en collaboration directe avec le régime nazi, le Front activiste lituanien (FAL).
Presque en même temps que les pogroms lancés par les nazis et l’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN) en Ukraine occidentale, le FAL et les occupants allemands ont entamé une orgie de massacres en Lituanie. En moins de trois ans, une communauté vieille de 800 ans, qui a joué un rôle central dans le développement de la culture juive et mondiale, a été presque anéantie.
Sur les quelque 210.000 Juifs qui vivaient en Lituanie avant l’invasion nazie du 22 juin 1941, 195.000 avaient été assassinés à la fin de la guerre en 1945. L’écrasante majorité d’entre eux étaient morts avant la fin de l’année 1941.
La caractéristique la plus horrible de l’Holocauste en Lituanie a été la participation ouverte et sans honte d’une grande partie de la population à la traque, à la torture et à l’assassinat des Juifs. L’historienne Masha Greenbaum a fourni un compte rendu saisissant du déchaînement meurtrier qui a balayé le pays dans les jours qui ont précédé et immédiatement suivi l’invasion nazie.
L’entrée des nazis en Lituanie, annexée par l’Union soviétique en 1940, fut accueillie avec enthousiasme par les forces nationalistes, anticommunistes et violemment antisémites. L’ambassadeur lituanien à Berlin, le colonel Kazys Skirpa, connu comme un fervent admirateur d’Adolf Hitler, compte parmi les figures de proue de ces forces. Avant l’invasion allemande, Skirpa dirige un important réseau de fascistes lituaniens. Greenbaum écrit dans «The Jews of Lithuania: A History of a Remarkable Community 1316–1945:
Ces cellules de fascistes lituaniens, de sympathisants nazis et de nationalistes lituaniens étaient des composantes importantes du FAL, Lietuvos Aktyvistu Frontas (Front activiste lituanien), le plus important et le mieux organisé des groupes nationalistes. Mais il existait de nombreuses autres factions, telles que les Iron Wolf, l’Armée lituanienne de la liberté, les Falcons et le Front de restauration de la Lituanie. Ils s’immisçaient dans les universités, la fonction publique, les professions libérales et même les écoles secondaires. Selon des sources lituaniennes, le nombre de membres de ces groupes clandestins et unités antisoviétiques atteignait 100.000.
Trois jours avant l’invasion, Skirpa, en contact permanent avec la Gestapo (police secrète) et la Wehrmacht (armée) nazies, émet le tract n° 37 pour une distribution massive dans toute la Lituanie. Il s’agit d’un appel non dissimulé à la destruction totale des Juifs de Lituanie. On peut y lire:
Le jour du jugement dernier a enfin sonné pour les Juifs. La Lituanie doit être libérée non seulement de l’esclavage bolchevique asiatique, mais aussi du joug juif de longue date.
Au nom du peuple lituanien, nous déclarons solennellement que l’ancien droit de sanctuaire accordé aux Juifs de Lituanie par Vytautas le Grand est aboli pour toujours et sans exception.
Les Juifs coupables de persécuter les Lituaniens seront jugés. Ceux qui auront réussi à s’échapper seront retrouvés. C’est du devoir de tous les Lituaniens honnêtes de prendre des mesures de leur propre initiative pour arrêter ces Juifs et, si nécessaire, les punir. Le nouvel État lituanien sera reconstruit par les Lituaniens uniquement. Tous les Juifs sont exclus de la Lituanie pour toujours… Que les Juifs connaissent la sentence irrévocable prononcée à leur encontre: pas un seul Juif n’aura de droits de citoyenneté. Les erreurs du passé et les maux perpétrés par les Juifs seront corrigés, et une base solide pour un avenir heureux et l’œuvre créatrice de notre nation aryenne sera posée. Préparons la libération de la Lituanie et la purification de la nation.
Cette diatribe a déclenché un déchaînement de violence meurtrière. Soyez prévenus: il est pénible de lire le récit que fait Greenbaum des crimes monstrueux perpétrés contre les Juifs par les hordes lituaniennes qui avaient été déchaînées par les antisémites nationalistes et les anticommunistes. Greenbaum écrit:
Le 25 juin, les partisans lituaniens qui se définissaient comme des combattants de la liberté ont entamé un massacre de trois jours contre les Juifs dans les petites villes et les villages, au cours duquel les populations entières de plus de 150 communautés juives ont péri. Certains Juifs ont été chassés de chez eux et brûlés vifs, après avoir été sauvagement battus et rassemblés dans des synagogues, des écoles et d’autres lieux publics qui étaient ensuite incendiés. Dans d’autres cas, on a conduit des familles juives entières dans des forêts ou des lits de rivière proches où des fosses ou des tranchées avaient été creusées, avant de les fusiller. Dans plusieurs endroits, tels que Reiniai et Geruliai dans la région de Telsiai, à Meretz (Merkine), Plungian (Plunge), Sakiai (Shaki) et Kelm (Kelme), on a forcé les Juifs à creuser leurs propres tombes. Pratiquement tous les Juifs d’Ukmerge ont été rassemblés dans la synagogue et brûlés vifs. À Seirijai, on a trainé des Juifs nus dans les rues, puis sauvagement assassinés en présence d’une foule en liesse. À Panevezys, on a jeté les Juifs – y compris plusieurs jeunes femmes qui avaient été violées – dans de la chaux embrasée.
Dans la seule ville de Kovno, les partisans lituaniens ont assassiné près de 4.000 Juifs au cours des deux jours qui se sont écoulés entre l’invasion et l’arrivée des forces allemandes dans la ville. Une atrocité particulièrement brutale a eu lieu plus tard dans le garage de la coopérative Lietukis, au centre-ville de Kovno. Une soixantaine d’hommes juifs, choisis au hasard dans les rues par les partisans, furent emmenés dans le garage et sauvagement battus et torturés sous les yeux d’une foule nombreuse. Alors que les Juifs gisaient blessés et gémissaient sur le sol, leurs tortionnaires continuaient, pour amuser la foule, à les battre sans pitié jusqu’à ce qu’ils meurent. On a forcé un autre groupe de Juifs à nettoyer le garage et à transporter les victimes pour les enterrer.
À Slobodka (Wilijampole), les partisans allaient de maison en maison à la recherche de Juifs. Leurs victimes étaient jetées dans la rivière Vilija: celles qui ne se noyaient pas étaient abattues dans l’eau. Des maisons juives ont été incendiées et leurs occupants brûlés vifs alors que les partisans bloquaient le chemin des pompiers qui arrivaient. Des voyous qui se disaient combattants de la liberté ont massacré des Juifs sans distinction. Dans de nombreux cas, des membres arrachés des corps étaient dispersés çà et là.
Le 25 juin, les partisans décapitèrent le grand rabbin de Slobodka, Zalman Ossovsky, et exposèrent sa tête coupée à la fenêtre de sa maison. Son corps sans tête fut découvert dans une autre pièce, assis près d’un volume ouvert du Talmud qu’il étudiait.
La plupart de ces 150 localités sont devenues Judenrein (sans Juifs) 24 heures avant l’arrivée des forces d’occupation allemande. Cela a donné à la population locale une brève occasion de se jeter sur les maisons et les entreprises de leurs anciens voisins juifs dans une frénésie de pillage et de saccage. De nombreux meurtres et pillages ont été perpétrés en plein jour devant des témoins consentants, qui souvent applaudissaient. Lorsqu’ils assistaient à la messe à l’église, les partisans étaient félicités par les prêtres pour leur courage et leur patriotisme.
Les atrocités de la dernière semaine de juin 1941 se sont poursuivies sans relâche jusqu’à la fin de la guerre. Les Juifs ont été les premières victimes, mais pas les seules. Le lieu le plus connu des massacres en Lituanie est la forêt de Ponary, à la périphérie de Vilnius. On estime qu’entre 1941 et 1944, jusqu’à 100.000 personnes, dont environ 70.000 Juifs, 20.000 Polonais et 8000 prisonniers de guerre soviétiques, y ont été assassinées par les Einsatzgruppen SS allemands et leurs collaborateurs lituaniens. La plupart des massacres ont été perpétrés par une unité de 80 hommes des Ypatingasis būrys, des volontaires lituaniens organisés au sein de la SS. Le massacre n’a pris fin qu’avec l’avancée de l’Armée rouge soviétique.
Après la guerre, nombre des pires collaborateurs nazis et complices de massacres ont poursuivi leur vie sains et saufs. Kazys Škirpa, fondateur du FAL, a travaillé au Trinity College de Dublin et à la Bibliothèque du Congrès des États-Unis. Il est décédé à Washington DC le 18 août 1979 à l’âge de 84 ans.
Aleksandras Lileikis, chef de la police de sécurité lituanienne à Vilnius, était l’un des principaux organisateurs de l’assassinat de la communauté juive de Vilnius. Il a trouvé un emploi auprès de la CIA et a reçu l’autorisation d’émigrer aux États-Unis. Il s’est installé dans le Massachusetts et a acquis la nationalité américaine. Ce n’est qu’en 1994 que les enquêtes sur ses crimes, longtemps retardées, ont abouti à sa dénaturalisation. Il est retourné en Lituanie, qui ne pouvait se soustraire aux demandes de poursuites judiciaires pour génocide. Mais Lileikis est mort en septembre 2000 à l’âge de 93 ans avant qu’un verdict ne soit rendu.
Au lendemain de la dissolution de l’Union soviétique, la nouvelle bourgeoisie lituanienne a encouragé la réhabilitation de ses ancêtres collaborateurs des nazis. Tout en publiant parfois, pour des raisons d’opportunité politique, des déclarations symboliques et insensibles de regret officiel pour l’extermination des Juifs lituaniens, le gouvernement et les principaux partis ont minimisé et dissimulé l’ampleur des crimes commis entre 1941 et 1945.
L’une des premières mesures prises par le nouveau parlement lituanien a consisté à réhabiliter les Lituaniens condamnés par le gouvernement soviétique pour collaboration avec les nazis. On a baptisé des rues du nom de dirigeants du FAL, comme Škirpa. L’académie militaire lituanienne, gérée par l’État et affiliée à d’autres académies militaires de l’OTAN, a été baptisée du nom de Jonas Žemaitis, un autre tristement célèbre collaborateur nazi. Pendant ce temps, les survivants de l’Holocauste qui ont combattu avec les partisans soviétiques contre les nazis et leurs alliés lituaniens ont été jugés pour «collaboration» et «crimes de guerre».
Le cas du fasciste lituanien Jonas Noreika a acquis une notoriété internationale. Exécuté en Union soviétique après la guerre, il a été célébré à titre posthume par le régime lituanien d’après 1991 comme un combattant de la «tyrannie communiste». Des rues ont été rebaptisées en son honneur et Noreika a reçu la Croix de Vytis, la plus haute distinction accordée par la Lituanie à une personne décédée. Mais en 2000, la petite-fille de Noreika est tombée sur des documents familiaux longtemps dissimulés qui révélaient qu’il avait «ordonné que tous les Juifs de sa région de Lituanie soient rassemblés et envoyés dans un ghetto où ils étaient battus, affamés, torturés, violés, puis assassinés». [Tribune publiée le 27 janvier 2021 dans le New York Times, «No More Lies. My Grandfather Was a Nazi», par Silvia Foti].
Malgré ces révélations, Noreika est toujours honoré en Lituanie comme un héros national. Une plaque commémorative honorant sa mémoire est toujours en place à l’Académie lituanienne des sciences. Un documentaire dénonçant cette parodie de la vérité historique, intitulé J’Accuse, a été récemment achevé et présenté en décembre 2022 au Miami Jewish Film Festival.
Bande-annonce de J’ACCUSE | Miami Jewish Film Festival 2023
La Première ministre lituanienne Ingrida Šimonytė et le ministre des Affaires étrangères Gabrielius Landsbergis, avec lesquels Biden, Scholz, le Français Macron et le Britannique Rishi Sunak discuteront de l’opportunité de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et des déploiements directs de troupes, sont membres du parti au pouvoir Homeland Union, dont les députés ont un passé sordide d’explosions de colère antisémites.
En 2019, la seule synagogue juive encore existante dans le pays, à Vilnius, a dû être fermée pour une durée indéterminée en raison de menaces persistantes de la part de l’extrême droite. Selon une déclaration de la communauté juive lituanienne, le parti Homeland Union a non seulement refusé d’intervenir, mais a également encouragé les forces d’extrême droite en affichant «le désir continu et croissant exprimé publiquement […] de reconnaître les auteurs du meurtre de masse des Juifs de Lituanie comme des héros nationaux et d’exiger que ces personnes soient honorées par des plaques commémoratives et par d’autres moyens».
Biden, Scholz, Macron et Sunak sont au courant de cette histoire. Mais ils considèrent que toute mise à nu des crimes des nazis et de leurs collaborateurs révèle des vérités gênantes qui vont à l’encontre de leurs programmes géopolitiques et qui, par conséquent, doivent être blanchies et censurées.
La guerre par procuration menée en Ukraine est motivée et justifiée par des mensonges. La falsification et la réhabilitation des nazis et de leurs collaborateurs en Ukraine, en Pologne, en Lituanie et en Allemagne sont des éléments essentiels du programme de l’OTAN.
Une logique historique grotesque est à l’œuvre dans le rassemblement des conspirateurs de l’OTAN à Vilnius. Les dirigeants de l’impérialisme mondial actuel préparent leurs nouveaux crimes contre l’humanité dans l’ombre de ceux commis il y a 80 ans.
(Article paru en anglais le 10 juillet 2023)
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