Péan, un
procès pour l’honneur de la
France
José Kagabo est historien à l’Ecole des Hautes Etudes Sociales.
Spécialiste des rapports entre la France et le Rwanda, il décrypte pour
Rue89 l’implicite enjeu politique qui s’est joué lors du procès de
Pierre Péan.
Souâd Behaddad: Quel est l’enjeu de ce procès?
José Kagabo: "Il y a, selon moi, un enjeu
intellectuel et un enjeu politique dans ce procès mais qui,
sous-jacent, n’apparaissent donc pas dans les attendus, qu’il agisse de
la partie civile (SOS Racisme et Ibuka) ou de la défense (Pierre Péan).
Il s’agit du rapport de la France à l’histoire du génocide au Rwanda.
Du point de vue intellectuel, Péan s’inscrit clairement dans un
registre révisionniste. Il nous dit, en résumé: "Voilà, vous n’avez
rien compris à ce qui s’est passé, tout ce qu’on vous a raconté, ce ne
sont que des mensonges et moi Péan, du haut de ma réputation et, en
plus, avec des témoignages de Rwandais, je viens vous démontrer que
toute l’histoire est à revoir."
Du point de vue politique, l’aspect indicible de ce procès est celui
de l’avenir d’une certaine conception française des rapports à
l’Afrique. Je ne sais si c’est délibéré ou inconscient mais en
inversant l’histoire du génocide des Tutsi au Rwanda et donc du rôle de
la France, il s’agit évidemment de relooker ce qu’on appelle
pompeusement "l’honneur du rayonnement de la France". Or, à terme, le débat public sur le Rwanda sera une invite à ce que
cette histoire ne soit tout simplement pas réécrite en France comme
certains ténors de la pensée France-Afrique le voudraient. Selon moi,
cet enjeu est essentiel.
Quinze ans après le génocide des Tutsi, avez-vous imaginé possible qu’un tel procès puisse se tenir?
A dire vrai, non. Car ce procès est aussi une manière en France de
parler du génocide au Rwanda et un tel sujet dans un prétoire français,
ce n’est pas banal!… Je pense que Pierre Péan n’a pas mesuré une telle
possibilité en écrivant ce livre.
Ce qui est très intéressant -parce que significatif-, c’est
l’alignement des témoins appelés à la barre par Péan dont certains sont
les acteurs de cette politique française impliquée dans le génocide
(ndrl. Hubert Védrine, ex-secrétaire général de l’Elysée sous
Mitterrand et Bernard Debré, ex-ministre (RPR) de la Coopération en
1994). On voit bien qu’il y a là une cohésion qui ne se dit pas comme
telle bien entendu mais dont la configuration est assez claire.
C’est-à-dire?
Il y a une question intéressante à poser, mais sans doute dans un
autre lieu que celui d’un tribunal: celle de savoir comment Pierre Péan
a pu accéder aux archives qu’il déploie à la défense de l’action de la
France au Rwanda. Ce sont des archives personnelles de François
Mitterrand. Or sachant que Hubert Védrine est le gardien du temple de
l’institut François Mitterrand, a-t-il joué un rôle ou pas? Cela
interroge aussi, du point de vue intellectuel, sur l’usage des
archives, de façon générale puisque que le même fonds d’archives recèle
de documents qui vont à l’encontre de la thèse de Péan.
Avez-vous le sentiment que les Français se sont sensibilisés à la question du génocide au Rwanda, au fil du temps?
Absolument. Je pense qu’il y a un décalage, énorme, très évident
entre la société civile française qui s’intéresse aux affaires
africaines et à l’histoire des responsabilités française dans le
génocide au Rwanda et les représentants de l’Etat français. Encore
qu’il faille nuancer quand on parle de représentants de l’Etat: il y a,
c’est sûr, une aile soudée autour de la mémoire de François Mitterrand,
et qui fait tout ce qui est en son pouvoir pour écarter ce qui
relèverait d’une responsabilité française, contre toute évidence.
Mais il faut aussi rappeler le grand décalage entre la position de
Mitterand et de Alain Juppé et celle de Edouard Balladur et de son
ministre de la défense de l’ époque François Léotard. A propos de
l’opération Turquoise, très clairement, Edouard Balladur s’opposait à
ce qui s’apparentait, selon lui, à du néocolonialisme…
► Lire aussi: Procès Péan: il n’est pas raciste de trouver les Tutsi menteurs
http://www.rue89.com/2008/11/09/jose-kagabo-pean-un-proces-pour-lhonneur-de-la-france