"Ils nous traitent comme des
chiens", témoignages de sans-papiers détenus à Vincennes
un Centre de rétention administrative (CRA) où
sont enfermés les étrangers en situation irrégulière
en instance d’expulsion? Un petit livre répond à cette
question. Publié par les éditions Libertalia (1),
proches de la mouvance libertaire très investie dans la
défense des sans-papiers, il reprend un certaine nombre de
témoignages de retenus enfermés à Vincennes. Ces
récits ont été recueilli au téléphone
par des militants associatifs proches de cette mouvance. Le 22 juin
2008, ce CRA, le plus grand de France avec ses 280 places, partait en
fumée. Pour les associations de défense des
sans-papiers, cet incendie allumé par des retenus n’était
pas une surprise. Les six mois précédents, les migrants
avaient multiplié les actes de protestation: refus de
s’alimenter, d’être comptés, tentative de suicide,
affrontements avec la police. A plusieurs reprises, la Cimade
(association de défense des droits de l’homme) avait alerté
l’administration sur la situation explosive dans ce centre. Le décès
d’un retenu tunisien le 21 juin, à qui l’administration
aurait refusé les soins appropriés, a été
l’élément déclencheur. Des retenus ont allumé
mis le feu.
viens de m’embrouiller avec un flic. Un homme parmi nous est
gravement malade. Il a une pneumonie depuis 2003. Il est venu en
France pour consulter un médecin. Ils l’ont arrêté
le 20 février. Il a un certificat médical attestant
qu’il est malade mais ils s’en moquent. Le médecin du
centre lui a juste donné du paracétamol. Le monsieur
n’arrive pas à respirer et ils ne veulent pas le soigner.»
« Cela fait douze jours que je fais la grève
de la faim. Mon père est français. Il a été
amputé de ses deux jambes. Je suis venu en France pour
m’occuper de lui. La Cimade a écrit au juge, mais il a
demandé que je reste encore quinze jours ici.»
Dimanche
16 mars
«J’ai dit aux flics que j’étais
mineur. Je leur ai demandé de m’emmener dans un centre pour
mineur, mais ils m’ont emmené à l’hôpital.
Ils m’ont fait un test osseux pour vérifier mon âge.
Le médecin a dit que j’avais 18 ans, mais moi, je suis
mineur.»
«Ils ont ramené beaucoup de monde
ce week-end. Ça a chauffé. Ils voulaient nous mettre à
cinq par chambre. Les flics ont sorti leurs bâtons, l’un
d’entre eux son pistolet.»
«Vendredi, on a
tous déchiré nos cartes (d’identification, ndlr). On
les a mises dans un sac que l’on a balancé à
l’accueil. Suite à cela, ils ont mis deux personnes en
isolement. Ils les ont prises au hasard, parmi ceux qui parlent bien
français. Les flics m’ont dit que j’étais un
meneur, parce que je leur parlais au nom de tous. L’autre jour, ils
nous ont tous rassemblés dans le réfectoire pour nous
compter. Il y avait beaucoup de flics et des chiens. On aurait dit
qu’ils cherchaient quelqu’un qui s’est enfui (…). En ce
moment, ils mettent beaucoup de coups de pression. Ils nous traitent
comme des chiens. La nuit, ils passent dans les chambres sous
prétexte de chercher des gens. Mais ce ne sont que des coups
de pression et des provocations. Ils pourraient aller directement
dans la chambre du mec qu’ils cherchent. Au lieu de cela, ils font
toutes les chambres (…). Il est impossible de dormir. La nuit, ils
claquent les portes. On entend les aboiements des chiens de la
brigade canine à partir de 4 heures du matin. Le matin, c’est
le micro qui nous réveille.»
avril
«Les gens et les flics se foutent de la grève
de la faim. Ils se foutent des sans-papiers. Ils s’en foutent si on
crève. Les gens bouffent des lames de rasoir tous les jours et
l’on n’entend pas parler d’eux. Les petits trucs qu’on fait
ne valent pas le coup. Il faut vraiment foutre le bordel pour leur
mettre une vraie pression.»
«Pour refuser d’embarquer,
un mec a eu une idée incroyable. Il s’est chié
dessus. Il s’est tout étalé sur lui. Ils n’ont pas
pu l’expulser. Ils l’ont ramené au centre. Le lendemain,
ils sont venus le rechercher. Ils l’ont attaché avec du
Scotch et ils l’ont enroulé dans du film plastique. Ils
l’ont pris et ils l’ont expulsé comme ça.»
Lundi 14 avril
«Les flics nous donnent les rasoirs entre 8 heures et 10 heures du
matin en échange de nos cartes. Pour pouvoir récupérer
les cartes, on doit leur rendre le rasoir (…). Samedi, un mec
devait être expulsé vers l’Algérie. Pour ne pas
partir, il s’est ouvert la jambe avec la lame du rasoir, en allant
prendre sa douche. Il a failli se couper une veine. Ils l’ont
emmené à l’hôpital. Ils l’ont ramené
hier soir. Je lui ai dit que c’était une connerie. Depuis
que je suis ici, quatre ou cinq gars ont fait des tentatives de
suicide pour ne pas être expulsés. Certains se pendent,
d’autres avalent des pièces de monnaie. Ceux qui refusent
l’embarquement sont ramenés au centre pour être
expulsés plus tard. Si je suis expulsé, je vais
accepter. Quand c’est la deuxième fois qu’ils tentent de
t’expulser, ils te scotchent comme un animal et je ne veux vraiment
pas partir scotché comme un animal.»
Jeudi 24 avril
«Un retenu a dit à la cuisinière qu’il ne mangeait que
hallal. La cuisinière l’a insulté. Il a jeté
son plat vers elle. Il ne pouvait pas l’atteindre car il y a un
grillage entre eux. La cuisinière a dit aux flics qu’il lui
avait craché dessus, 20 policiers l’ont tabassé en
dehors du champ des caméras. Il fait un mètre cinquante
! Ils l’ont bien amoché à coups de rangers sur le
visage. Ils ont même essayé de lui casser le poignet.
Ensuite, ils l’ont mis une heure en isolement, avec les menottes
très serrées. Il est sorti avec les poignets
enflés.»
Jeudi 15 mai
«Depuis que
je suis au centre, il y a eu au moins 10 personnes, toutes
communautés confondues, qui se sont coupé les veines,
entaillé les bras, les jambes, qui ont avalé des lames
de rasoir ou des clous. Un mec a préparé et avalé
une potion à base de savon.»
Vendredi 16 mai
«La pression psychologique et physique est énorme et
permanente. Si on ne présente pas notre carte de retenu, on
peut être violenté. Un jeune homme faisait du sport
dehors à 6 heures du matin. Un policier est venu lui demander
sa carte. Il lui a répondu qu’il l’avait laissée
dans sa chambre. Le policier l’a attrapé par la nuque et l’a
poussé au sol en l’insultant. Ils ne sont pas polis avec
nous (…). Pour moi, on est une sorte d’expérimentation
pour l’école de police. Ils font des expériences sur
nous. Et puis il y a les chiens de l’autre côté du
centre, ils aboient toute la nuit, comme si c’était un
disque, c’est insupportable.»
(1) Le livre Feu au centre de rétention, est vendu 7 euros.
Les bénéfices, moins le coût d’impression (1.4 euros par ouvrage), seront
entièrement consacrés à la défense des six retenus inculpés suite à
l’incendie du 22 juin.