Manifestants
abattus en Haïti
Bill Van Auken
lundi entre des manifestants et des troupes des Nations unies qui ont
fait au moins deux morts et seize blessés à Cap-Haïtien, la deuxième
plus grande ville du pays.
La ville portuaire, située à environ 300 kilomètres au nord de la
capitale Port-au-Prince, était toujours largement paralysée mardi : les
écoles, les bureaux de la fonction publique et les commerces étaient
fermés, des rues étaient bloquées par des barricades de pneus enflammés
et on a rapporté que des fusillades étaient entendues sporadiquement.
Le pont menant à l’aéroport de la ville avait été bloqué par des
barrières de métal soudées entre elles.
Les violences ont éclaté lundi après que des milliers de manifestants
sont sortis dans les rues pour protester contre la force d’occupation
de l’ONU (connue sous le nom de MINUSTAH, Mission des Nations unies
pour la stabilisation en Haïti), que de nombreuses personnes accusent
d’être responsable de l’épidémie de choléra qui a fait plus de 1000
victimes, et pour dénoncer le gouvernement du premier ministre René
Préval et sa réponse inadéquate à la propagation de la maladie.
Les troupes de l’ONU et la police haïtienne ont tenté de disperser les
manifestants à l’aide de gaz lacrymogènes, provoquant du coup un
mouvement de foule dans lequel plusieurs personnes ont été blessées.
responsables de l’ONU, par des coups de feu. Les soldats ont tiré dans
la foule, tuant un jeune d’une balle dans le dos dans Quartier-Morin,
tout juste à l’extérieur de la ville. Un autre homme a été abattu à
Cap-Haïtien. On a rapporté jusqu’à 16 blessés, dont plusieurs dans un
état grave.
Les manifestants ont incendié un poste de police et des voitures de police et ont pillé un entrepôt de nourriture.
De plus petites manifestations ont aussi été rapportées à Hinche et
dans Les Gonaïves, au centre et au nord du pays, ainsi que dans la
capitale. À Hinche, une foule de plusieurs centaines de personnes a
lancé des pierres à une division népalaise des troupes onusiennes,
largement blâmée pour l’épidémie de choléra.
Des responsables de
la santé publique soutiennent qu’il est difficile de déterminer avec
certitude comment la bactérie a pu être introduite au pays, qui n’a
connu aucun cas de choléra en un siècle. Cependant, l’épidémie a été
déclenchée peu après l’arrivée du bataillon népalais le mois dernier.
Le Népal a récemment dû faire face à sa propre épidémie de choléra.
Les reporters qui ont visité la base des troupes y ont trouvé des
problèmes sanitaires, dont des excréments rejetés dans la rivière
Artibonite. La région a été l’épicentre de l’épidémie de choléra, qui
est attribué à la contamination de la rivière. Les scientifiques des
centres américains de prévention et de contrôle des maladies,
entre-temps, ont confirmé que la souche de la bactérie est courante en
Asie du Sud.
Des soupçons voulant que les troupes de l’ONU aient
introduit la maladie mortelle en Haïti ont enflammé les ressentiments
non exprimés envers la soi-disant force du maintien de la paix en
Haïti. Elle y a été déployée après le coup d’État orchestré par les
États-Unis qui a renversé le président Jean-Bertrand Aristide et
contraint à l’exil. Comptant quelque 12.000 soldats, le MINUSTAH dirigé
par le Brésil est largement considéré comme une force d’occupation dont
le but est de s’opposer l’agitation populaire.
Les
fonctionnaires des Nations unies en Haïti ont tenté de rejeter les
soulèvements à Cap-Haitien comme étant le travail d’agitateurs
politiques qui cherchent à déstabiliser le pays à l’approche des
élections nationales prévues pour le 28 novembre.
Dans une
déclaration, le MINUSTAH a affirmé que « la façon dont se sont déroulés
les événements suggèrent que ces incidents ont été motivés
politiquement, visant à créer un climat d’insécurité à la veille des
élections ». La déclaration continuait, « le MINUSTAH fait appel à la
population pour qu’elle reste vigilante et ne se laisse pas manipuler
par les ennemis de la stabilité et de la démocratie dans le pays ». Les
officiels de l’ONU n’ont donné aucune indication quant à l’identité de
ces « ennemis ».
La colère populaire à Cap-Haitien et ailleurs dans le pays a été alimentée par la propagation rapide du choléra. Haïti Libre
a rapporté que des « cadavres de personnes mortes du choléra jonchaient
les rues de la ville durant la fin de semaine ». Il a cité un
fonctionnaire de la ville de Cap-Haitien disant qu’« au moins vingt
corps ont été ramassés par les autorités médicales depuis vendredi ».
Il y a eu des rapports similaires venant des Gonaïves, au nord du pays.
« Vendredi il y a eu des rapports qu’environ 30 personnes sont
« tombées mortes » dans les rues des Gonaïves », a rapporté le British Independent.
« Le maire aurait rejoint des résidents pour enterrer les morts, selon
Jane Moyo d’ActionAid. Dans les régions rurales entourant la ville, il
y avait des rapports non confirmés de familles entières mourant sans
aide, alors que les populations locales fuyaient les malades à cause de
la peur de plus en plus grande face à la maladie. »
Mardi, le
ministère haïtien de la Santé publique et des Populations a publié ses
derniers chiffres sur le bilan du choléra, rapportant que le nombre de
morts a atteint 1034 dimanche, avec 16.799 personnes ayant été
hospitalisées.
Il a aussi été
confirmé que le choléra est en train de se répandre à Port-au-Prince,
alors qu’il a été rapporté que 875 personnes ont dû être hospitalisées
et que 38 sont mortes dans la région métropolitaine. Des responsables
sanitaires et des organismes humanitaires ont exprimé la crainte que la
maladie pourrait devenir incontrôlable à Port-au-Prince, où plus de 1
million de personnes sont toujours sans logement et doivent habiter
dans des campements de tentes à cause du tremblement de terre qui a tué
plus d’un quart de million d’Haïtiens en janvier dernier.
Cependant,
selon le coordonateur humanitaire des Nations unies en Haïti, Nigel
Fisher, la maladie s’est déclarée beaucoup plus dans les bidonvilles de
la ville comme Cité Soleil, qui a encore moins accès à de l’eau potable
et à des installations sanitaires que dans les villes tentes. « Cela ne
veut pas dire que les camps seront épargnés », a-t-il averti.
Dans
une vidéoconférence avec des journalistes, Fisher a contredit les
responsables du gouvernement, insistant que le choléra s’est répandu
aux 10 départements haïtiens (le gouvernement a prétendu que 4 d’entre
eux n’avaient été témoins d’aucun cas). Faisant référence aux
manifestations, il a dit que la maladie était devenue une question de
« sécurité nationale ».
« Le
nombre de morts va croître significativement, ce qui ne sera pas une
surprise », a dit le responsable des Nations unies. Plusieurs croient
que le décompte officiel du gouvernement des cas de choléra et du
nombre de morts reliés est une importante sous-estimation, vu que
plusieurs infections et morts, particulièrement dans les zones les plus
rurales, ne sont pas rapportées.
Les
Nations unies ont estimé que jusqu’à 200.000 Haïtiens pourraient
contracter la maladie dans les prochains mois. Des experts en santé ont
mis en garde que, vu les conditions de pauvreté extrêmes et
d’infrastructures inadéquates en Haïti, la nation la plus pauvre de
l’hémisphère ouest, le choléra va demeurer un problème pour les années
à venir.
Les hôpitaux et les
organisations humanitaires sont déjà surchargés par le nombre de
malades et de mourants. Plusieurs se demandent où sont passés les
milliards promis par les Etats-Unis et d’autres pays après le
tremblement de terre, une partie seulement de ces milliards ayant
effectivement transférés au pays. Les Nations unies ont émis un nouvel
appel pour un maigre 163,8 millions de dollars en fonds d’urgence pour
confronter la présente crise.
« La
situation est très alarmante », selon Stéphane Reynier, directeur des
opérations pour Médecins sans frontières. Les structures de MSF sont
surchargés par le nombre de patients, pas seulement à Port-au-Prince,
mais nationalement. Nous sommes rapides et sur la ligne de front, mais
nous ne pouvons contrôler une épidémie nationale seul. Où sont les Nations unies? Où sont les O.N.G. ? Où
sont les milliards de dollars promis après le tremblement de terre ? Il
y a eu assez de réunions, maintenant nous voulons de l’action.
Le
choléra, même s’il est très contagieux, peut être facilement prévenu et
facilement guéri lorsque l’on a accès à de l’eau potable, des
installations sanitaires et un service de santé. Pour la grande
majorité de la population pauvre d’Haïti, toutefois, tout cela est hors
de portée.
Selon une étude datant de 2008, seulement 41 pour cent
de la population haïtienne a accès à des latrines et seulement la
moitié a accès à de l’eau potable. Au moins 71 pour cent de la
population n’a pas accès à de l’eau potable en tout temps. A la
campagne, les conditions sont encore pires. A Artibonite, le centre de
l’épidémie, moins du tiers de la population peut bénéficier d’eau
potable ou d’installations sanitaires adéquates.
Ces conditions étaient présentes bien avant le tremblement de terre qui a dévasté Haïti en janvier dernier. En 2008, Partners in Health,
une ONG basée à Boston ainsi que d’autres groupes d’aide ont publié un
rapport intitulé « Le déni du droit à l’eau en Haïti » dans lequel on
pouvait lire : « Le fait qu’il est généralement impossible d’avoir
accès à une eau potable est un des principaux obstacles en Haïti
lorsqu’il est question de respecter les normes les plus élémentaires
des droits de l’homme. L’histoire a légué à Haïti, l’inégalité, la
dictature, la corruption et une pauvreté extrême et persistante, qui
tous, contribuent à leur façon à l’échec du gouvernement haïtien à
offrir une eau propre à la population. Le non-accès à cette ressource
cruciale continue à peser sur tous les aspects de la vie pour la vaste
majorité des Haïtiens, contribuant à la mauvaise santé, à la famine et
le peu d’opportunité de s’éduquer. La conséquence : un cercle vicieux
de consommation d’eau contaminée, une hygiène publique inefficace, des
crises de santé récurrentes et, sous-tendant tout ce qui précède, une
pauvreté chronique et profondément enracinée. »
Le rapport
accusait les Etats-Unis et l’administration démocrate du président Bill
Clinton d’avoir bloqué les prêts de la Banque inter-américaine du
développement destinés à améliorer l’infrastructure d’assainissement et
d’approvisionnement en eau. Les tentatives de l’administration Clinton
d’empêcher que ces prêts ne soient émis faisaient partie de sa campagne
pour déstabiliser le gouvernement haïtien et pour mettre au pouvoir un
régime plus soumis aux intérêts de Washington dans la région.
Dans la décennie qui a suivi, les conditions n’ont qu’empiré, alors que
la politique américaine consistait à tenter de subordonner le
développement du pays aux investissements des multinationales à la
recherche de travailleurs à bon marché et au même moment de contrôler
l’agitation sociale au moyen du déploiement d’une myriade d’ONG et
d’organismes d’aides. Un gouvernement central faible et corrompu n’a
pratiquement rien fait pour développer l’infrastructure du pays. Cela a
contribué à laisser le peuple haïtien sans défense devant une série de
calamités, culminant avec le tremblement de terre de janvier dernier et
l’actuelle épidémie de choléra.