Un tour de cochon
par K. Selim
La grippe porcine qui frappe le Mexique, et qui serait responsable de la mort de cent cinquante personnes, se propage à la vitesse des moyens de transport modernes. Le virus apparaît dans d’autres régions du monde sans que l’on puisse en déterminer encore le réel degré de dangerosité.
L’OMS et les Européens, qui appellent à la vigilance sans pour autant élever le niveau d’alerte pandémique, déconseillent de se rendre en Amérique du Nord, terre de naissance du virus mutant issu des élevages porcins. En sus des victimes humaines, le virus a frappé les Bourses mondiales et a entraîné le repli des prix du baril de brut. La toux d’un cochon malade a ainsi, de proche en proche, déclenché un ouragan médico-économique dont nul ne peut, à ce stade, mesurer les implications.
Aux premiers jours de son apparition, la maladie a ravi la une des journaux à la crise financière. Comme si le hasard voulait que le sujet d’inquiétude des opinions abandonne le terrain de l’économie pour celui, directement vital, de la santé publique. Mais l’impact du virus a été très rapidement perçu par les opérateurs touristiques, les compagnies aériennes, les sociétés pétrolières et… les éleveurs de porcs.
A l’aéroport de Barcelone, des passagers masqués débarquent d’un vol en provenance de Mexico – © REUTERS / Albert Gea |
Ces derniers, affolés par la chute de la consommation, estiment que le nom de grippe porcine est inapproprié. Pour les éleveurs, cette forme de grippe devrait, à l’instar des précédentes pandémies, porter le nom de sa région d’origine et être désignée sous l’appellation, moins pénalisante pour leur production, de grippe nord-américaine.
Le débat est en cours, mais la dimension économique a immédiatement retrouvé la priorité médiatique. L’activité déjà atone devrait encore reculer et accentuer la récession en cours. Les bourses ont entériné le pessimisme ambiant, malgré le fait que la situation soit favorable aux industries pharmaceutiques.
L’alarme et la cacophonie qui règnent sur le front sanitaire ont malgré tout permis d’atténuer une information essentielle en ces temps de désaffection bancaire. Les autorités américaines viennent en effet d’enjoindre à deux des principales banques du pays, et du monde, de renforcer sérieusement leurs fonds propres. A la suite de tests de résistance, « stress tests », la Federal Reserve a pu évaluer la sous-capitalisation des 19 premières banques américaines. Citigroup et Bank of America, sans doute suivies par d’autres dans les jours qui viennent, sont sommées de lever des fonds, au grand dam de leurs actionnaires actuels, qui verraient ainsi leurs participations se diluer dans les augmentations de capital.
Plus gravement encore, si les banques ne parviennent pas à attirer les capitaux sur le marché, seul l’Etat serait en mesure de fournir les fonds nécessaires. Dans cette hypothèse, loin d’être improbable, il s’agirait, ni plus ni moins, d’une nationalisation du système bancaire américain. La Bourse, piégée entre cochons malades et banques en péril, perd le moral et s’abandonne au pessimisme. Malgré les milliers de milliards injectés dans le trou sans fond des banques, celles-ci se révèlent toujours aussi fragiles et peu à même de jouer leur rôle. La nouvelle a fait l’effet d’un tour de cochon aux contribuables priés de se serrer la ceinture. Avec le virus porcin ou nord-américain, ils devront de surcroît porter un masque…
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