La disparition de Fatima Bedar
Ce soir, Fatima Bedar n’est pas à la maison. Adolescente à la longue chevelure très brune, Fatima toujours bien habillée, a eut 15 ans au mois d’août. Elle est née en Algérie dans la ville de Bougie. C’est à l’âge de 15 ans qu’elle est venue en France, accompagnée de sa mère.
Son père, Hocine Bedar, est un ancien combattant mobilisé au début de la seconde guerre mondiale. Monsieur Hocine Bedar avait été fait prisonnier en 1940. Le jeune soldat s’évade, rejoint les forces françaises et participe à la libération, dans la campagne d’Italie, puis en France, au sein des tirailleurs algériens, avant d’être démobilisé en 1945. Il a ensuite travaillé comme ouvrier chez Gaz de France.
En France, Fatima a eu deux sœurs et un frère. La famille est originaire de Sarcelles et cela faisait quelques mois qu’ils avaient déménagés pour habiter à Stain. Fatima est l’aînée des enfants et elle aide beaucoup sa mère à la maison, tout en s’occupant des plus petits. Aux yeux de sa sœur, Louisa, elle faisait figure de véritable femme. Souvent, elle accompagnait à l’école maternelle son petit frère Djoudi qui était émerveillé par ses gros dictionnaires. Fatima était élève du collège commercial et industriel féminin, rue des Boucheries, à Saint-Denis.
Le jour du 17 octobre 1961
Ce matin-là, Fatima et sa mère s’étaient vivement disputées. Les parents de la jeune fille ne voulaient pas qu’elle aille à la manifestation du organisée par le Front de Libération nationale (FLN). Le ton était monté et sa mère, très énervée, avait jeté quelque chose dans sa direction, voulant retenir sa fille. Louisa a raconté avoir vu sa grande sœur partir en courant.
Ni le lendemain, ni les autres jours, Fatima n’est rentrée à la maison et chaque matin, son père partait de bonne heure pour la chercher. Souvent, sa mère, accompagnée de Djoudi, allait à sa recherche dans les rues de Stains.
Et puis, un soir, le père rentrera à la maison, le cartable de Fatima à la main. Le 31 octobre, on retrouvera le corps de Fatima, noyé dans le canal de Saint-Denis (1).
» Son corps n’a été retrouvé que le 31 octobre, coincé dans une turbine d’une écluse du canal de Saint-Denis «
« J’avais à l’époque cinq ans et demi et je garde toujours le souvenir d’une grande soeur, studieuse, tendre et aimable. Elle était de plus, exemplaire en tout, mais ce jour-là, elle s’était disputée avec ma mère. Elle n’en avait fait qu’à sa tête, mais on ne l’a plus revue. Mon père, a dû signaler sa disparition, deux jours après. Et son corps n’a été retrouvé que le 31 octobre, coincé dans une turbine d’une écluse du canal de Saint-Denis », s’est rappelé son frère cadet Djoudi dans un entretien accordé à l’APS.
« Elle n’était ni grincheuse, ni rebelle mais, visiblement, elle était précocement consciente de sa différence, la sienne et celle de ses compatriotes, éprouvés par leurs dures conditions de vie et de travail et les manifestations du 17 octobre lui ont donné l’opportunité d’exprimer ses sentiments de révolte », a-t-il expliqué.
Qui a commis le crime ?
Qui a tué Fatima Bédar ? Ce que l’on sait, c’est qu’au commissariat de Saint-Denis au poste de police de Stains, dépendant de Saint-Denis, des policiers avaient, depuis des semaines, pris l’habitude de jeter les gens dans le canal et dans la Seine.
La police de Saint-Denis, qui n’a mené aucune enquête, a rapidement conclu à un suicide.
« Il ne pouvait pas en être autrement, car pour la préfecture de Paris, la répression policière de la manifestation n’avait fait que deux morts », dira Djoudi, pour qui cette version a encore davantage accablé sa famille.
Quand la vérité éclate
Mais la vérité a fini par éclater grâce aux investigations, en 2003, de quelques journalistes sur les massacres d’octobre 1961,
» Il a été mis en évidence que le corps de Fatima n’a pas été repêché seul du canal de la mort, mais découvert avec une quinzaine d’autres, tous plongés à vif dans l’eau « , rapporte le romancier Didier Daeninckx.
Née en août 1946 à Tichy, dans une famille modeste, Fatima était l’aînée de 06 enfants. Elle ne s’est expatriée qu’à l’âge de cinq ans. À 15 ans, elle était déjà une adulte. Son corps a été rapatrié en Algérie en 2006, grâce à un formidable travail procédural mené alors par la fondation du 08 mai 1945.
À l’instar de nombreux Algériens, elle a été victime de la répression sanglante qui avait été ordonnée par le Préfet de Police de Paris, Maurice Papon .
« Mon père a combattu pour la France durant la seconde guerre mondiale, on lui a enlevé sa fille » a déclaré, Djoudi, le frère de Fatima.
Allah yerham shouhada
(1) Témoignage de Djoudi Bédar, le 12 décembre 1987, et de Louisa Bédar, le 29 janvier 1988, les parents de Fatima.(2) 15-10-2008 à 21:28 EL MOUDJAHID (journal algérien).