La crise, la Géorgie et l’Afghanistan:
les trois fronts de l’OTAN
Trois problèmes ont été examinés jeudi et vendredi
lors d’une rencontre informelle des ministres de la Défense de l’Alliance à Budapest. Si sur l’un
d’entre eux – la crise financière mondiale – un consensus entre les
participants était prévisible (les crises affaiblissant la sécurité), on ne
peut pas en dire autant concernant les deux autres. Il s’agit des perspectives
d’adhésion de la Géorgie
à l’OTAN et de la présence de l’organisation en Afghanistan.
En ce qui concerne l’adhésion de la Géorgie, pour l’instant,
seul Washington
soutient ardemment Tbilissi. Mais les Etats-Unis doivent encore persuader leurs
alliés de la nécessité d’accorder à la Géorgie le Plan d’action pour l’adhésion à
l’Alliance (MAP).
L’octroi du MAP devait avoir lieu en décembre au
cours du sommet de l’OTAN. Mais le chef du Pentagone Robert Gates est pressé,
car on ne sait pas comment se conduiront les alliés après l’élection
présidentielle aux Etats-Unis, surtout en cas de victoire du démocrate Barack
Obama.
Les alliés n’ont jamais été unanimes concernant l’entrée de la Géorgie
dans l’OTAN et, après les événements qui se sont produits en Ossétie du
Sud, des doutes se sont nettement fait entendre au sein de ce choeur
incertain. Par conséquent, même après la rencontre de Budapest, Robert
Gates a encore du pain sur la planche. Ce sujet sera à nouveau abordé
prochainement. Le 14 octobre, la situation en Géorgie doit être
examinée à Genève par Bernard Kouchner, ministre français des Affaires
étrangères, dont le pays assume la présidence de l’UE, et Alexander
Stubb, chef de la diplomatie finlandaise et président en exercice de
l’OSCE. Le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon et le Haut
représentant de l’UE pour la politique extérieure et de sécurité
commune Javier Solana participeront également à la réunion.
Le problème afghan se pose quelque peu autrement. En effet, il s’agit
de l’avenir de l’OTAN dans ce pays, c’est pourquoi Robert Gates avait
une mission difficile à accomplir dans la capitale hongroise. Il
fallait, d’une part, dissiper les humeurs défaitistes des "compagnons
d’armes" et, de l’autre, les persuader de façon adéquate de la
nécessité de revoir non pas la tactique des actions, mais toute la
stratégie de l’opération antiterroriste.
On peut comprendre l’inquiétude du Pentagone. Presque tout le monde ces
jours-ci parle de l’impossibilité de remporter une victoire en
Afghanistan. C’est même le général Mark Carleton-Smith, commandant des
forces britanniques sur place, qui a ouvert la discussion sur ce thème,
bientôt rejoint par le général Richard Blanchette, porte-parole de
l’OTAN en Afghanistan, qui a exprimé presque mot à mot la même
position: "nous savons que nous ne pouvons pas vaincre militairement".
Ils ont été appuyés par le général français Jean-Louis Georgelin, chef
d’état-major des armées, qui a jugé la réconciliation entre Afghans
nécessaire.
En d’autres termes, les principaux acteurs de la coalition
antiterroriste en Afghanistan et l’OTAN, qui a pris des engagements en
vue de coordonner les actions de la Force internationale d’assistance à
la sécurité (ISAF), exigent l’application d’une politique foncièrement
nouvelle dans ce pays.
Il s’agit, en fait, d’une politique de réconciliation nationale, dont
la nécessité avait déjà été soulignée par l’actuel président de
l’Afghanistan Hamid Karzaï (il avait même fait un premier pas en ce
sens) dès 2002. A cette époque, ses initiatives avaient été brutalement
rejetées par les Etats-Unis, l’ISAF en voie de formation et le reste de
la communauté internationale. D’ailleurs, on trouvait même des
partisans de cette "juste" indignation en Afghanistan.
Mais le temps a prouvé que Hamid Karzaï avait raison. Il était
inadmissible d’accuser gratuitement les talibans d’être les "ennemis"
du peuple afghan. Les problèmes du Nord et du Sud, des Pachtounes et
des non-Pachtounes, de l’émancipation des femmes et d’autres encore
continueront à se poser en Afghanistan. Cela ne dépendra pas du régime
au pouvoir: monarchie constitutionnelle, technocrates modérés,
islamistes modérés ou radicaux. Certains talibans peuvent aider à
régler une partie de ces problèmes.
Le Pentagone a apparemment compris cette simple vérité. Le quotidien
britannique The Guardian a cité vendredi certains détails intéressants
d’un rapport du renseignement américain. D’après ces fuites, ce rapport
contient une proposition destinée aux autorités américaines leur
demandant de revoir immédiatement la stratégie des actions en
Afghanistan. Les auteurs du rapport estiment désormais que le règlement
du conflit passe par la voie politique, et non pas militaire.
Entre-temps, Kaboul a déjà agi en vue d’engager des négociations. Le
gouvernement de Hamid Karzaï avait déjà mené des pourparlers secrets
avec des représentants du mouvement des talibans, entre autres, avec
Gulbuddin Hekmatyar, le plus odieux de ses leaders. Ces pourparlers
avaient eu lieu avec la médiation de l’Arabie Saoudite: compte tenu du
statut particulier de ses rapports avec les Etats-Unis, c’est un fait
qui en dit long. Un dîner officiel offert par le roi d’Arabie Saoudite
Abdallah à l’occasion de la fin du ramadan a réuni Gulbuddin Hekmatyar,
le frère du président afghan Qayum Karzaï et l’ancien premier ministre
du Pakistan Nawaz Sharif.
Etant donné que cette rencontre s’est déroulée sans l’aval de la Maison
Blanche, elle n’a pas beaucoup enthousiasmé le Pentagone. Néanmoins,
elle s’est tenue dans le contexte de la compréhension croissante de la
part de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis du fait que l’organisation
de négociations entre les parties belligérantes est l’unique solution
au conflit, ce qui jouera probablement un rôle important.
En ce qui concerne la nouvelle stratégie en Afghanistan, Robert Gates
bénéficiera probablement, en fin de compte, de la compréhension et du
soutien de tous ses collègues. La question de l’accroissement des
effectifs des contingents militaires est néanmoins plus difficile.
Les exhortations lancées par les Etats-Unis aussi bien à leurs alliés
au sein de la coalition qu’aux membres de l’ISAF ne trouvent pas de
véritable soutien, sauf, peut-être, de la part de l’Ukraine. Le
ministre ukrainien de la Défense Iouri Ekhanourov a assuré à Robert
Gates que l’Ukraine était prête à partager par la suite également la
responsabilité collective de la stabilisation de la situation en
Afghanistan et qu’elle y enverrait cet automne sept hommes en plus des
trois médecins militaires qui s’y trouvent déjà.
Cependant, il est peu probable qu’un tel renfort puisse régler le problème afghan.
Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l’auteur.