N’oubliez pas Gaza! Bilan et perspectives
d’action
ne représente ni une victoire d’Israël, ni la paix, mais la préparation
d’une nouvelle agression d’ici un, deux ou trois ans. D’où notre
responsabilité pour tirer le bilan de ces trois semaines de
souffrances. Et surtout : que pouvons-nous faire pour protéger les gens
de Gaza, pour oeuvrer à une véritable paix, pour une information plus
correcte de nos concitoyens ? Quelques réflexions rapides rédigées en
urgence depuis Beyrouth où j’étais invité par le Forum Social Mondial
en sa première session tenue dans le monde arabe…
Michel Collon
Beyrouth, 19 janvier
1. Israël poursuit un plan à long terme
– "Jusqu’à présent, j’étais partisan d’Israël à 100%, mais là, je me demande qu’est-ce que c’est pour un Etat ?"
– "Un Etat raciste qui veut agrandir son territoire"
– "Oui, à présent, je le crois bien"
Ce
dialogue entre deux pères, entendu par un ami à la porte d’une école de
Luxembourg, est typique. La cruauté de l’agression contre Gaza a ouvert
les yeux de nombreuses personnes. Viser des femmes, des enfants, des
hôpitaux, des ambulances, des écoles, de façon aussi répétée, ce ne
sont pas des "bavures" ou des dérapages. Des faits semblables ont été
commis en 1948, 1967, 1982, 1987-1993, 2000, 2006… En fait, Israël
poursuit la réalisation d’un plan à long terme : agrandir son
territoire jusqu’à l’ensemble de la Palestine, ce qui implique de
terroriser la population et de la forcer à évacuer le territoire.
Tel
était l’objectif réel de l’attaque contre Gaza. Certes, Israël
prétendait vouloir éliminer le Hamas, mais tous les analystes savent
que c’était inatteignable. Il y avait aussi un objectif immédiat et
sordide : éviter une défaite aux élections. Chaque enfant palestinien
tué vous rapportera combien de voix, Monsieur le boucher Barak ?
l’opinion, le gouvernement israélien se prétend désireux de négocier.
Mais il a soigneusement éliminé tous ceux qui étaient prêts à négocier
avec lui. Il a emprisonné à perpétuité Marwan Bargouti, un laïc, leader
intègre et populaire du Fatah; il a emprisonné pour trente ans Ahmed
Sadaat, un laïc, secrétaire-général du Front Populaire de Libération de
la Palestine; à présent, il cherche à éliminer le Hamas. Et après, avec
qui négociera-t-il ? Avec Al Qaeda ? 2. Une guerre "made in USA" Chaque
année, Israël reçoit quatre milliards de dollars d’aides militaires et
autres des Etats-Unis. Plus que l’ensemble des pays en voie de
développement. Bien qu’il n’ait cessé de violer toutes les résolutions
de l’ONU et toutes les règles du droit international et soit condamné
pour cela par à peu prés tous les pays du monde.
La raison ? Les
Etats-Unis ont toujours considéré que le Moyen-Orient leur appartenait,
à cause du pétrole. Pour le monopoliser, ils ont multiplié les
chantages, coups d’Etat et invasions militaires. Ils entretiennent des
dictatures féroces en Arabie saoudite, Koweït ou Egypte tout en
prétendant défendre la "démocratie" au Moyen-Orient. En
réalité, Israël est leur porte-avions, le "flic du pétrole". Chargé
d’aider à contrer tout pays qui voudrait être indépendant et utiliser
l’argent du pétrole non pour les coffres-forts d’Exxon mais pour le
développement d’une économie indépendante. Comme
le disait ici, hier, le chanoine belge François Houtart, cofondateur du
Forum Social Mondial : "Israël fait partie d’un projet impérial de
domination du Nord sur le Sud". 3. Une guerre de l’Europe aussi L’Europe
se prétend neutre et "équidistante" entre Israël et les Palestiniens.
"Neutre" entre des agresseurs colonialistes et leurs victimes ? Mais en
réalité, elle soutient à fond Israël en en ayant fait un quasi membre
de l’UE, en qualifiant de terroriste le gouvernement palestinien
démocratiquement élu et en fournissant à Israël des milliards d’euros
d’armements. Ainsi,
hypocrite, mon pays, la Belgique, a prétendu être humanitaire en
envoyant un avion pour rapatrier des enfants palestiniens blessés,
oubliant seulement de préciser qu’ils avaient été blessés avec des
armes notamment belges ! De
plus, Sarkozy a fait semblant de négocier (avec une seule des
parties!), juste pour gagner du temps et permettre à Israël de finir
son sale travail. Son petit chien Bernard Kouchner a menti sur ce
massacre comme il a menti à chaque guerre de l’Occident (Irak,
Yougoslavie, Afghanistan). Pas neutres du tout, à fond derrière Israël!
Derrière
Israël, il y a ses parrains : les USA et l’UE. C’est aussi une guerre
pour le pétrole. C’est la plus longue guerre de l’Occident, qui dure
depuis 1948. C’est le soutien au dernier colonialisme du monde.
Peut-être le pire puisqu’il s’agit de vider une terre de ses habitants!
En
fait, on est en train de préparer l’opinion européenne, elle aussi, à
l’idée qu’il faudra peut-être un jour faire la guerre contre « le péril
musulman ». 4. Des médias en guerre ? Si
les Européens pouvaient voir Al Jazeera, ils auraient été dans la rue
dès le premier jour et Israël aurait dû arrêter. Ne dites pas trop vite
que vous êtes bien informés en Europe et que ce sont les Arabes qui se
trompent. Parlez
donc avec des Français ou des Belges d’origine arabe : ils ont vu une
autre guerre que vous. Ils ont vu l’atrocité des crimes, et cela dès le
début. Ils ont entendu les déclarations des différentes parties de la
résistance palestinienne et ils savent donc qu’un accord de paix était
possible à condition d’être équilibré et juste. Ils connaissent
l’Histoire qu’on vous a cachée, ce qu’on ne peut dire dans aucun
journal télévisé européen ou US: à savoir que le conflit a commencé
quand Israël a chassé les Palestiniens de leurs terres. Alors, qui est bien informé, qui est mal informé ? 5. Y pouvons-nous quelque chose? A
Bruxelles, le 11 janvier, on a pu voir un phénomène étonnant. Les
grands partis qui ont toujours soutenu Israël, y compris un parti qui
entretient des relations étroites et "fraternelles" avec le parti
travailliste israélien, étaient pourtant dans la rue, participant à une
manifestation de cinquante mille personnes pour exiger l’arrêt de
l’agression! L’explication
de ce mystère ? Le "facteur Al Jazeera + Internet" d’abord. Le facteur
électoral ensuite. Les Arabes de Belgique, informés grâce à la chaîne
qatarie, se sont mobilisés. Invité à parler dans deux mosquées, à
Bruxelles et à Lille, j’ai eu l’occasion de ressentir leur révolte,
mais aussi leur volonté de ne plus rester marginalisés et passifs.
L’opinion des non-immigrés a aussi évolué sous l’influence des infos
d’Internet; le monopole médiatique n’est plus aussi absolu qu’avant. Les
grands partis (il y aura des élections en juin en Belgique) ont dû le
sentir aussi. On a donc constaté une évolution en trois phases, dans
les partis et aussi dans les médias qui les suivent : Phase 1 : durant les premiers jours, on avance qu’Israël a "le droit de se défendre". Phase
2 : quand la cruauté de l’offensive ne peut plus être cachée, on
critique Israël pour sa "riposte disproportionnée" ( ce qui excuse
encore l’agression.) Phase 3 : quand l’opinion bascule devant l’horreur, on va jusqu’à condamner des crimes. Seulement
en paroles. Pas d’actes, pas de sanctions, pas de suspension des
incroyables privilèges accordés à ceux qui commettent ces crimes.
N’empêche. Cela montre l’impact d’une information véritable, et surtout
l’impact d’une population, même minoritaire au début, qui se mobilise.
Et cela montre qu’il sera possible d’aller plus loin. A quelles conditions ? 6. L’action ne peut venir que d’en bas : boycott ! La
solution ne peut venir d’en haut, car nos multinationales et nos
gouvernements ont misé sur Israël et l’alliance avec les USA. Je
rencontre énormément de gens qui veulent faire quelque chose. Parmi les
diverses propositions, je pense que le boycott est une action
accessible à tous, assez facile à pratiquer, dans une campagne de
longue durée et qui fera mal au portefeuille, donc au nerf de la
guerre. La machine de guerre israélienne coûte cher, elle est financée
par les revenus des fruits, légumes, fleurs et autres produits
qu’Israël vend en Europe notamment dans les supermarchés. Dans
ma jeunesse, j’ai participé à la campagne de boycott qui a forcé les
racistes blancs d’Afrique du Sud à renoncer à l’apartheid et à
l’oppression des Noirs. Ce mode d’action est efficace. Encore plus s’il
est organisé collectivement. 1. Avec des comités par pays et des
comités locaux d’action à la base. 2. En ne dispersant pas les efforts,
mais en concentrant sur quelques produits (israéliens, voire des
complices US et européens) à déterminer ensemble. 3. En s’accompagnant
d’un travail régulier d’information de la population, de façon
concrète, pédagogique et patiente. Cela peut s’organiser en regroupant
toutes les bonnes volontés dans les quartiers, mais aussi les écoles,
les entreprises, les associations, partout. L’idéal serait de commencer
avec un appel de personnalités et de mouvements… 7. Besoin d’unité A
Beyrouth où je me trouve, j’ai discuté pendant trois jours avec des
dizaines de personnes venues de nombreux pays de la région. Des hommes,
des femmes, des jeunes, des moins jeunes, des croyants ou des laïques.
Et, car je sais qu’on me le demandera, oui, avec des femmes voilées; et
je vous garantis que je n’ai pas senti de différence quant à
l’engagement, la réflexion ou l’indépendance d’esprit. Une dame
marocaine voilée était venue me trouver après un exposé, et nous avions
parlé. Un peu plus tard, je rencontre son mari, un parlementaire
marocain qui me dit : "Voici mon épouse, ou plutôt, je suis son mari,
je l’accompagne!" Car elle était, comme bien d’autres, débordante
d’idées et d’activités. Trêve
de plaisanteries, il est temps en Europe de sortir des clichés et des
préjugés. Tous mes interlocuteurs, ici, étaient choqués par la timidité
de la gauche européenne face aux crimes d’Israël. Et j’avais bien du
mal à l’expliquer. Le
temps me manque ici à présent, avant de nouvelles rencontres. Mais il
faudra revenir sur cette curieuse "gauche" qui, pour la plupart, ne
bouge pas beaucoup pour mettre fin au dernier colonialisme. Cette
gauche qui s’inquiète beaucoup d’une montée éventuelle de
l’antisémitisme, condamnable bien sûr, mais ne réagit pas devant la
montée bien réelle d’une islamophobie complètement paranoïaque lancée
par Bush et qui stigmatise nos concitoyens immigrés. Cette
gauche ne devrait-elle pas sortir de sa tour d’ivoire et de ses
complexes de supériorité? Ne devrait-elle pas prendre des distances
avec ses médias et ses dirigeants pour aller à la rencontre des peuples
du Sud ? Se demander pourquoi, au Moyen-Orient, mais aussi en Amérique
latine, en Afrique, en Asie, ils sont tous contre Israël ? Mieux
chercher à comprendre les raisons de cette colère qui envahit le Sud ?
Et avant de donner des leçons de démocratie au monde entier, nous
autres Européens qui avons mis en place Hitler, Mussolini, Franco,
Pinochet, Mobutu, Suharto et la plupart des dictatures qui ont
ensanglanté la planète, d’abord simplement nous demander ce que nous
pouvons apprendre de ces peuples du Sud ? C’était,
très rapidement, quelques réflexions que je vous soumets… En appelant
chacune et chacun de vous à prendre ses responsabilités, là où il est
et selon ses moyens. N’oubliez pas Gaza ! Ils auront besoin d’aide
humanitaire tout de suite. Mais surtout, pour éviter le retour des
bombes, ils auront besoin d’une information vraie. N’oubliez pas Gaza !
Michel Collon Que faire ? A
Bruxelles, le 10 janvier dernier, a eu lieu un atelier "Médias et Gaza
: que pouvons-nous faire?" Il avait été convoqué, en urgence, en
trente-six heures, par l’équipe Investig’Action qui travaille avec moi
pour une information alternative. Malgré le court délai, 90 personnes
sont venues exprimer leur ras-le-bol d’une information incomplète,
superficielle et surtout partiale. Toute
une série de propositions intéressantes ont été faites en vue
d’analyser l’info de façon critique, élargir les sources, repérer les
médiamensonges, ne pas faire d’amalgames mais débattre quand c’est
possible avec les journalistes. Mais surtout, pour renforcer
l’information alternative sur Internet et ailleurs. Notre
équipe est réduite et, franchement, un peu débordée. Mais elle mettra
les bouchées doubles pour transformer notre site actuel, dialoguer avec
vous et réaliser des avancées. Vos coups de main sont plus que
bienvenus, ils sont indispensables. La devise d’Investig’Action, c’est "Nous sommes tous des journalistes!". Et vous aussi. Retrouvez chaque jour des témoignages, analyses, critiques d’infos sur Gaza à
www.michelcollon.info