Un
raid américain qui allonge la liste des "mystères syriens"
Le récent incident qui s’est produit à la frontière syro-irakienne
pourrait compliquer sérieusement le processus de normalisation des
rapports de la Syrie avec les Etats-Unis et l’Irak. Selon l’agence
d’information syrienne (SANA), le 26 octobre, 4 hélicoptères militaires
américains venus d’Irak ont fait irruption sur le territoire syrien et
débarqué des soldats dans le village frontalier d’Al Soukkariya, près
de la ville d’Abou Kamal. Le commando américain a attaqué une ferme
locale, tuant 8 ouvriers syriens, dont une femme, après quoi
hélicoptères et soldats ont quitté précipitamment le pays. L’agence
SANA a cité les noms de tous les citoyens syriens tués. Peu après
l’incident, les ambassadeurs des Etats-Unis et d’Irak ont été convoqués
au ministère syrien des Affaires étrangères, où ils se sont vu remettre
une protestation officielle.
A première vue, on a l’impression que le commando américain a
effectivement commis une erreur tragique. Au lieu des combattants
terroristes supposés, de simples ouvriers ont été tués. Le fait que
cette information n’ait été ni confirmée ni démentie par les militaires
américains corrobore cette version. De plus, la Syrie a réagi très
rapidement et publiquement à cet incident. Cependant, comme l’a déclaré
dans une interview à Reuters Ali Al-Dabbagh, porte-parole du
gouvernement irakien, le raid avait pour but de neutraliser un groupe
de 13 terroristes qui avaient commis à maintes reprises des agissements
sur le territoire irakien. Le responsable a également fait remarquer
que l’Irak avait plusieurs fois exigé des autorités syriennes
l’extradition de ces terroristes, en vain.
La ville frontalière d’Abou Kamal se trouve à 800 km de Damas. Le
transport de marchandises en provenance et à destination du pays voisin
s’effectue essentiellement par cette ville. S’y trouvent également un
important poste de contrôle et des services des douanes. Ce n’est un
secret pour personne que Washington a souvent accusé la Syrie de fermer
les yeux sur le transit par son territoire vers l’Irak de terroristes
et d’armes qui, selon la terminologie employée par de nombreux hommes
politiques arabes, "luttent contre le régime d’occupation à Bagdad".
Damas réfute toutes les accusations qui lui sont adressées. Les
autorités syriennes affirment qu’il n’y avait ni ouvrages militaires,
ni bases terroristes à Al Soukkariya. "La Syrie condamne sévèrement
cette acte d’agression et rend l’administration américaine entièrement
responsable de ce qui a été commis", a déclaré le ministre syrien des
Affaires étrangères Walid Mouallem.
Depuis le début de la guerre en Irak, les militaires américains ont
maintes fois poursuivi et neutralisé des terroristes irakiens et des
mercenaires étrangers d’Al Qaïda sur le territoire syrien, mais les
Syriens ont préféré jusque-là ne pas le remarquer. Cependant, cette
fois, il en a été autrement. Si l’opération a réellement tué 8 civils
syriens, alors le courroux de Damas est tout à fait justifié. Mais,
selon la version irakienne, des terroristes dont l’extradition était
exigée par Bagdad se trouvaient dans la ferme frontalière en question,
et ces exigences sont également bien légitimes. Bref, on ne sait pas
qui a été tué: des combattants terroristes ou non, si nous sommes en
face d’une "erreur tragique" des services secrets américains, ou bien
si ce sont les Syriens qui ont raison.
L’incident qui s’est produit près de la ville d’Abou Kamal se
répercutera certainement aussi bien sur les rapports syro-américains
que syro-irakiens, qui avaient connu ces derniers mois une tendance au
réchauffement. Durant toute l’année 2008, le président syrien Bachar
Al-Assad a déclaré qu’il comptait sur la médiation américaine lors des
négociations indirectes avec Israël. Cependant, Washington n’a dit ni
oui, ni non.
La Syrie a récemment rétabli ses relations diplomatiques avec l’Irak,
rompues il y a 28 ans à cause des divergences idéologiques entre les
dirigeants des partis "frères" au pouvoir à Damas et à Bagdad: le Parti
de la renaissance socialiste arabe et le Baas. C’est pourquoi la
détérioration des rapports avec Washington et Bagdad est actuellement
très désavantageuse pour Damas.
Pendant de longues années, la Syrie avait été considérée un îlot de
stabilité au milieu de la région très agitée du Proche-Orient.
Cependant, la guerre en Irak, la guerre entre Israël et le Hezbollah,
la longue crise politique au Liban et, enfin, le bombardement israélien
d’un "mystérieux ouvrage" syrien dans la région d’Al-Kabir ont
sérieusement ébranlé la situation politique à l’intérieur du pays. Tous
ces processus ont eu pour conséquence une vague d’assassinats
politiques dans le pays.
Imad Moughnieh, chef de la branche militaire (service de sécurité) du
groupement chiite libanais Hezbollah, a été assassiné en février
dernier à Damas dans l’explosion d’une voiture. Le général de brigade
Mohammed Souleiman, un des membres de l’entourage du président Bachar
Al-Assad, a été tué en août dernier près de Tartous dans des
circonstances mystérieuses. Il était notamment chargé de la coopération
des autorités syriennes avec l’AIEA, qui se penchait sur le supposé
programme nucléaire syrien et qui a cherché des traces de matières
nucléaires sur le site détruit par les avions israéliens en septembre
2007. Le 27 septembre dernier, une explosion qui s’est produite devant
l’un des bâtiments du service de renseignements syrien à Damas a fait
17 morts. Le ministre syrien de l’Intérieur Bassam Abdel Majid a
qualifié cette explosion d’acte terroriste, mais il a refusé d’en citer
les responsables.
Les autorités syriennes gardent le silence au sujet de tous ces
assassinats mystérieux et les commentateurs politiques locaux voient
dans tout cela la main d’Israël et d’autres ennemis de la Syrie. Le
récent incident à la frontière syro-irakienne prolongera probablement
la liste de ces "mystères non élucidés" en Syrie.