La mère du Roi dépouillée d’un terrain de 21 hectares d’une valeur inestimable à Marrakech.
Mardi 23 septembre 2008, Casablanca. En cette fraîche matinée d’automne, une foule nombreuse se presse à l’entrée
de la huitième salle du tribunal de première instance de la métropole. C’est dans cette même salle qu’ont été jugés l’ancien maire de Casablanca, Abdelmoughit Slimani, et l’ex-gouverneur, Abdelaziz Laâfora. Cette fois-ci, la salle 8 abrite un procès qui défrayera, certainement à son tour et pour longtemps, la chronique.
Non sans raison. L’affaire, dite Annakhil, porte sur une arnaque immobilière de plusieurs milliards de centimes dont la victime n’est autre que la princesse Lalla Latifa, mère du Roi Mohammed VI. Rien de moins.
13 heures 30. L’accusé principal, El Mahjoub Fahim, fait son entrée dans la salle, menotté et escorté de deux policiers.
L’accusé comparait en état d’arrestation. De taille moyenne, teint basané, visage crispé, démarche lente et regard furtif, il s’installe au banc des accusés. Face à lui, Noureddine Kacine, un juge connu dans le milieu judiciaire pour sa droiture et son intégrité, et aussi pour la maîtrise des dossiers qui lui sont confiés. Le magistrat a eu, entre autres, à traiter la très complexe et délicate affaire de l’héritage des descendants de Ahmed Réda Guedira, ancien conseiller de feu Hassan II. C’est lui aussi qui juge actuellement l’affaire Tahiti Beach opposant Saâd Benkirane à Hicham Sedki.
Audience
Au cours de l’audience, l’avocat d’El Mahjoub Fahim exige la présence de deux personnages clés dans l’affaire:
Ahmed Tamer, notaire basé à Casablanca, et Hassan Fatmi, conservateur à Marrakech. Le premier, impliqué dans le dossier, est poursuivi en liberté provisoire, tandis que le second est convoqué en tant que témoin. Présent à l’audience, le fils de Ahmed Tamer informe le juge que son père est malade et qu’il se trouve à la clinique Val d’Anfa, où il est hospitalisé depuis le mercredi 17 septembre 2008. Chose que sa secrétaire nous avait auparavant confirmée, ajoutant qu’il était victime d’un malaise cardiaque.
En attendant la poursuite du procès, Mahjoub Fahim, incarcéré à la prison Oukacha de Casablanca depuis son arrestation, lundi 15 septembre 2008, a publié depuis sa cellule une lettre dans deux quotidiens nationaux, où il donne sa version des faits. Dans ce courrier, truffé d’informations approximatives et de noms tronqués, et suivant de surcroît une chronologie pour le moins incohérente, Mahjoub Fahim se présente comme la victime d’un certain Abdelilah Fahmi, manager prétendu des affaires de la Reine mère.
Patrimoine
Comment est-il entré en relation avec El Mahjoub Fahim?
Ni la lettre de ce dernier, ni le procès verbal de la police ne fournissent de renseignements précis sur ce personnage énigmatique qui aurait été à l’origine de la plainte déposée contre l’accusé principal.
En fait, tout a commencé en juin 2008, lorsque Abdelilah Fahmi entre en contact avec El Mahjoub Fahim, homme d’affaires casablancais qui aurait, en tout et pour tout, un patrimoine de 6 millions de dirhams, constitué de propriétés immobilières, de quelques sociétés mises en veilleuse et d’une voiture 4×4 achetée à crédit.
Abdelilah Fahmi lui propose d’acquérir un terrain de 21 hectares, appartenant à la Reine mère, et sis dans le périmètre
urbain de Marrakech, plus précisément dans la commune huppée et cotée d’Annakhil. Le prétendu mandataire de la Reine
mère propose à l’acheteur le prix dérisoire, eu égard à la situation précitée du terrain, de 1.500 dirhams le mètre carré. Ce dernier accepte le deal et signe sur-le-champ un chèque de 318 millions de dirhams.
Démenti
Par la suite, les deux protagonistes s’adjugent les services d’un notaire basé à Casablanca, Ahmed Tamer, qui accepte à son tour les termes de l’accord conclu. Selon les propos d’El Mahjoub Fahim figurant sur le procès-verbal, le notaire a reçu le chèque de 318 millions de dirhams tout en sachant que son titulaire n’avait pas de provision bancaire. Il se serait donc, en connaissance de cause, proposé comme intermédiaire dans cette opération et garant pour le vendeur de l’encaissement du chèque. En contrepartie, Ahmed Tamer aurait obtenu la promesse d’une commission de 8 millions de dirhams. Ce que le notaire a démenti dans sa déposition à la police comme dans sa version des faits donnée à la chambre marocaine du notariat moderne, syndicat des notaires, qui l’a auditionné dans cette affaire.
Le notaire dément ainsi avoir agi en intermédiaire financier
dans cette opération. Selon lui, le marché était déjà
conclu et le chèque de 318 millions de dirhams remis au vendeur.
Son rôle se serait de la sorte limité à la rédaction
du contrat de vente.
Complicité
Quoi qu’il en soit, Ahmed Tamer se déplace personnellement à Marrakech chez Hassan Fatmi, le conservateur de la Ville, pour inscrire le terrain au nom de El Mahjoub Fahim. Mais le conservateur renvoie le dossier à plusieurs reprises, exigeant un chèque certifié.
Finalement, sous la pression de Abdelilah Fahmi, il accepte d’enregistrer le terrain et donne le certificat de propriété à El Mahjoub Fahim. Hassan Fatmi aurait reçu, en contrepartie, un chèque de 30.000 dirhams.
Machination
du moment que le notaire est garant des intérêts des deux parties. Dans le cas de cette affaire, le notaire, seul responsable devant la loi, risque une radiation de la profession si les charges retenues contre lui sont confirmées. Par contre, il faut souligner qu’un conservateur peut demander un chèque certifié dans le cas de figure où les particuliers concluent eux-mêmes la transaction».
Quoi qu’il en soit, El Mahjoub Fahim se retrouve propriétaire attitré du terrain de la Reine mère sans que celle-ci ne touche son dû. Elle se retrouve, ainsi, arnaquée. C’est le moins que l’on puisse dire. Entre temps, El Mahjoub Fahim se lance à la recherche d’un nouvel acquéreur du terrain. Deux acheteurs potentiels se manifestent. Il y a d’abord le fils de Haj Mohamed Medouiri, ancien patron de la sécurité royale, qui aurait, selon une source judiciaire, pesé de tout son poids pour que la transaction se fasse à son profit et au prix qu’il veut.
Ensuite, après avoir entendu parler d’un terrain de 21 hectares en cours de vente à Marrakech, un parlementaire du nom de Mohamed Jamra se manifeste à son tour pour l’acheter. Seulement, le prix de 1.200 dirhams le mètre carré que proposent les deux acheteurs n’arrange pas les affaires de El Mahjoub Fahim, celui-ci tenant à écouler son terrain au prix qu’il souhaitait auparavant (3.500 dirhams). Les jours passant, l’homme d’affaires s’interroge de plus en plus sur la raison pour laquelle il a tant de mal à revendre son “précieux” terrain au prix voulu.
Ce n’est que plus tard qu’il découvre le pot aux roses: le terrain qu’il a acheté est classé non-constructible depuis l’ère de défunt Roi Hassan II, qui avait sorti en son règne un dahir interdisant toute construction sur ce terrain précis. El Mahjoud Fahim comprend finalement qu’il a été à victime d’une machination orchestrée par Abdelilah Fahmi.
Dans le procès-verbal de la police, on apprendra très peu de choses sur M. Fahmi, dont on dit qu’il aurait agi de son propre gré, sans l’ordre de la Reine mère. Comment a-t-il fait? C’est aujourd’hui la grande question qui se pose, d’autant
que certaines sources informées avancent que la vente de biens immobiliers appartenant à la famille royale obéit à une procédure spéciale, notamment le recours au notaire officiel du Palais. Une source judiciaire affirme, pour sa part, que cette grosse arnaque est l’œuvre d’un grand circuit dans lequel on retrouve le prétendu mandataire de la Reine mère, l’acheteur du terrain et le notaire.
L’audience prévue le 30 septembre 2008 réserve sans nul doute de grandes révélations et promet bien des rebondissements.
http://www.maroc-hebdo.press.ma/MHinternet/Archives_807/html_807/
lareine.html